Un vent souffle sur l’Europe, celui de la semaine de 4 jours. Déjà présente à l’étranger depuis quelques années, elle fait maintenant partie du débat public français. Présentée par l’ensemble des directions et des spécialistes de la qualité de vie au travail comme une solution aux dysfonctionnements organisationnels qui mettent en risque la santé des salariés, elle apparait pour certains comme une solution miracle trop longtemps mise de côté.
Cet enthousiasme, comme tout mouvement vers la nouveauté, sous-estime pourtant ses multiples facettes et les risques psychosociaux qu’elle peut engendrer.
Nous revenons dans cet article sur ce phénomène et sa complexité.
Comme le souligne le journal du Monde, la semaine de 4 jours « fait son chemin » en Europe. Nombre de dirigeants politiques souhaitent apporter des réponses aux nouvelles exigences des salariés concernant le travail.
Depuis la crise de la COVID 19, le rapport de force entre les entreprises et les salariés a été modifié. Le travail n’apparaît plus uniquement comme un bien en soi, et les revendications des collaborateurs semblent avoir plus de poids. Malgré un chômage élevé, les entreprises peinent à recruter. Il semblerait que les sociétés soient passées de questionnements locaux et ponctuels à un désir plus officiel et collectif de refondation des modes de travail. Comme tout phénomène social, le marché du travail connaît des moments de cristallisations.
Une des réponses apportées aux dysfonctionnements est la semaine de 4 jours. Le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit, a, appelé « les entreprises à déployer la mesure [semaine de 4 jours] pour être plus attractives sur le marché du travail arguant « que les nouvelles générations ont une certaine vision de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle ».
C’est donc au croisement de deux phénomènes sociaux majeurs – l’arrivée de nouvelles générations sur le marché du travail et la pandémie de la Covid 19 – que la semaine de 4 jours se présente comme un nouveau donné incontournable.
Quelles sont ses promesses ?
- Le monde du travail vit sur une semaine de 5 jours et réussir à faire fonctionner une entreprise sur une semaine de 4 jours, c’est un peu comme nager à contre-courant. Cela demande d’une certaine façon plus d’efforts organisationnels en amont et en aval. Réussir à ce que l’entreprise reste productive sur 4 jours sans que le collectif ne devienne asynchrone et dissolu demande de rétablir un système d’obligation, de tirage au sort pour les jours non travaillés, un système de compensation et d’astreinte mais aussi une organisation ferme pour que le collectif arrive à exister véritablement sur 5 jours. Le collectif, phénomène social spontané est un objet délicat à contrôler. Il appelle un management indirect nécessitant la mise en place d’un environnement qui permet les interactions autour du travail et soutient les pratiques qui en résultent. Amputé toujours un peu de certains de ses membres, il est plus difficile à constituer. C’est pourquoi il est essentiel, de veiller à maintenir du lien mais également à la continuité des plannings pour que les collaborateurs n’aient pas la sensation de faire le travail des autres.
- La semaine de 4 jours n’a pas la même efficacité en fonction des secteurs dans lesquels elle est mise en place. Il est usuel d’entendre que des salariés plus heureux seront aussi plus productifs et que si la semaine de 4 jours leur apporte un sentiment de qualité de vie au travail, le collectif ne pourra être que plus efficace. Seulement, ce qui est vrai dans l’industrie, car il est possible d’intensifier le fonctionnement des machines avec une rotation du personnel, l’est moins dans les services. En effet, il faudra souvent demander aux salariés de travailler plus sur une journée pour ne pas faire chuter la productivité. Cet allongement de la durée de travail journalière peut conduire à une surcharge de travail, à du stress, à une certaine inefficacité et parfois au burn-out. Travailler 35 heures voire 39 heures sur 4 jours apparait à nombre de salariés comme invivable. Rares sont pourtant les salariés qui envisagent de travailler 9h15 par jour.
- La semaine de 4 jours charrie aussi avec elle une complexité juridique et organisationnelle. Il y a un temps de mise en place non négligeable qui peut en effrayer certains. Le patron de Welcome to the Jungle souligne qu’ils ont vécu 6 mois chaotiques avant que l’organisation ait trouvé son rythme. Il a fallu régler des contraintes d’emploi du temps, mais également des questions juridiques. « Après un départ chaotique, on s’est aperçu qu’on avait retrouvé le niveau de performance qu’on avait avant, et que cela donnait au salarié le sentiment de mieux gérer son temps », décrit Jérémy Clédat, PDG de Welcome to the Jungle. (Lien vers l'article).
Mise en avant par le gouvernement comme une solution innovante pour changer le rapport que les Français ont à leur travail et répondre au mouvement de contestation sociale, la semaine de 4 jours ne peut pourtant pas résoudre des dysfonctionnements organisationnels majeurs. Elle ne peut résoudre les problèmes de surcharge de travail, ni d’épuisement professionnel ou de stress. En effet, ponctuellement et individuellement elle a ses vertus mais elle apparaît malgré tout comme une clé à relativiser.
- Pour finir, il est très important de noter la différence entre une semaine de 4 jours à 35 heures et une semaine de 4 jours avec réduction du temps de travail et maintien du salaire. En effet, il semblerait que ce soit cette dernière forme qui se révèle être la plus probante. On peut par exemple noter que sur les 61 entreprises anglaises ayant expérimenté la semaine de quatre jours pendant six mois, 56 souhaitent pérenniser le dispositif sans perte de salaire et avec une baisse de 20 % du temps de travail hebdomadaire, selon une étude réalisée par l’université de Cambridge, avec le Boston College.
A l’inverse, l’Urssaf Picardie qui a proposé à ses salariés de travailler 9h au lieu de 7h20 n’a pas rencontré un grand succès. Seuls 3 salariés sur 200 se sont portés candidats. Ce sont des journées difficiles à envisager pour des salariés soumis à d’autres rythmes que le leur (l’école, le conjoint, la crèche, les gardes, les contraintes familiales…)
Ainsi le dirigeant de LDLC est passé en 2020 à la semaine de 32 heures sur 4 jours sans perte de salaire. D’une part, Laurent de la Clergerie, le dirigeant explique : « Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2020, nous enregistrions 497 millions d’euros de chiffres d’affaires à 1060 et en 2022 nous réaliserons 730 millions d’euros à 1040. C’est ma surprise, je n’ai pas eu besoin de recruter car les collaborateurs sont plus efficaces » ; d’autre part un salarié dit : « Cela montre une vraie confiance de la part des dirigeants envers les salariés, en notre autonomie à faire notre travail. Socialement, c'est vrai que c'est un gros gain pour nous ». Le dirigeant de LDLC a même écrit un manifeste en faveur de cette organisation du travail. (Lien vers le manifeste)
Il semblerait que les entreprises ayant mis en place ce type de semaine de 4 jours, « observent toutes une amélioration du « bien-être » des salariés et de la productivité » (Lien vers l'article).
In fine, les résultats sont à nuancer en fonction du type d’organisation. Premièrement rare sont les salariés qui peuvent supporter de travailler 9 heures par jour sur une période longue. Ceux qui en général s’emparent de cette occasion sont soit des jeunes actifs sans enfant soit des personnes qui n’ont plus d’enfant à charge et donc ne dépendent d’aucun autre rythme que le leur. En revanche, les semaines de 4 jours avec réduction du temps de travail semblent avoir prouvé leurs bénéfices, mais cela à condition qu’elle soit partie intégrante d’un dispositif plus globale d’innovation managériale.